Pharmacopée n°9

Dans Alexis ou le Traité du Vain Combat, Marguerite Yourcenar dépeint avec une profondeur vertigineuse le conflit intérieur du narrateur qui rédige une longue lettre à sa femme pour lui confier qu’il ne l’a jamais réellement aimée car sa passion va vers les hommes.

Alexis dit : « Il est difficile de ne pas se croire supérieur, lorsqu’on souffre davantage, et la vue des gens heureux donne la nausée du bonheur. » Comme le héros, souvent nous croyons souffrir davantage que les autres. Et de là à nous attribuer le monopole de la douleur, il n’y a qu’un pas et, ma foi, très vite franchi. Comment donc écouter la confession d’un proche, le récit d’un inconnu sans juger, sans hiérarchiser sa douleur, sans tout ramener à soi ?

Voilà un exercice qui devrait nous aiguillonner à l’occasion de chaque rencontre.

21 Comments on “Pharmacopée n°9”

  1. On se compare – on ne cesse de se comparer – ce qui n’a aucun sens. A ce que je sache, on n’a pas inventé un bonheuromètre! Une personne heureuse ne nous tend pas un miroir pour nous faire voir notre tristesse ou nos carences. On met en balance la joie comme des pommes de terre. On voit toujours ce qu’on n’a pas – et on néglige aussitôt ce qu’on a, ce sur quoi on peut faire fond. On oublie un peu vite que la joie des uns est une chance pour tous: c’est un élan vital qui nous encourage à donner plus, à donner mieux, pour lever des forces psychiques. Parce qu’un autre coeur bat fort et gaiement, je serai augmenté à mon tour d’un surplus de vie. L’allégresse est communicative. Une personne heureuse est un cadeau pour autrui. A défaut d’être heureux moi-même, je peux me réjouir de son bonheur et c’est en reconnaissant sa joie que je peux ressentir une émotion capable de susciter un début d’embrasement dans ma vie. Cette joie qui n’est pas mienne ne me laisse pas au bord du chemin, seul avec mes soucis, bien au contraire.

  2. Salut Alexandre merci pour l’exercice.
    À la suite d’une longue réflexion j’en ai conclu que la cause de l’homosexualité masculine c’est un méchant sentiment d’infériorité mais l’à n’est pas le problème quoi que. À partir de là je déduis que le sentiment d’infériorité provoque une sensation de vide qui est de l’anxiété que le possesseur du dit sentiment d’infériorité compense par un sentiment de supériorité, d’où la remarque du mari qui se sent supérieur à la femme non pas à cause d’une souffrance pure mais à cause de la souffrance causée par l’anxiété de son sentiment d’infériorité.
    Par ailleurs notre héros est incohérent lorsque il dit que; « la vue des gens heureux donne la nausée du bonheur». car le sentiment de supériorité provoque une sensation justement de supériorité passager qu’on confond souvent avec le bonheur et non de la nausée.

    Concernant la souffrance je dirais que lorsque à l’école primaire on décidera d’enseigner la philosophie ancienne avant la grammaire, dans le monde il y aura plus des fautes d’ortho mais moins de souffrance.
    Epictète disait; «ce ne sont pas les autres qui nous troublent( font souffrir) mais nos propres opinions», il suffit de réfléchir un instant pour réaliser la valeur de cette maxime et constater que nos opinions sont la source de toutes nos émotions et la souffrance avec.
    Ceci étant, lorsque on écoute la confession d’un proche la première réaction est de l’aider alors j’en reviens à une autre maxime philosophique; «quoi qu’il dise ou qu’il fasse l’être humain recherche avant tout son propre avantage», j’ai constaté cette vérité en moi comme je l’ai constaté chez les autres, alors compte tenu du fait que la souffrance dans nos régions a une connotation de valeur dans tous les cas religieuse, mais même au de là, ainsi celui qui souffre estime que sa propre souffrance est toujours supérieure à l’autre et qu’il a de ce fait plus de mérite et plus de mérite signifie une supériorité.
    Notre monde, et les habitants avec, est dirigé par un sentiment d’infériorité présent à tous les instants qui nous pousse à nous affirmer pour nous sentir supérieurs et en diminuer l’anxiété.
    Ce sentiment interviens même lorsque on écoute la souffrance d’un proche et il nous empêche de véritablement l’aider puisque nous recherchons avant tout notre propre avantage.
    De fait on ne hiérarchie pas la douleur mais on hiérarchie notre personne et son besoin de valeur personnelle qui passe avant la personne qu’on écoute et avant sa propre douleur qui passe après nous et éventuellement notre propre douleur.
    On ne peut faire différemment, l’humain est porté à chercher avant tout son propre intérêt, car nous sommes tous habités, tous, par un sentiment d’infériorité dont la sensation diminue aléatoirement en présence de quelqu’un de supposé inférieur seulement supposé car nous sommes tous égaux mais qui reviens à la charge sans arrêt, à moins d’avoir réglé définitivement et une fois pour toutes la notion de valeur personnelle; j’ai nommé la valeur personnelle intrinsèque de tous les êtres humains invariable et égale pour tous et dans tous les états.
    À la suite de quoi ayant été abandonnés par le besoin de rechercher avant tout notre propre intérêt nous pouvons nous consacrer à l’autre et à sa douleur et chercher à l’aider sans pour autant rechercher avant tout notre propre intérêt.
    g.

    1. Bonjour,

      J’ai quelques réserves sur votre analyse. Je m’en explique :

      -Pourquoi chercher nécessairement une cause (le sentiment d’infériorité pour vous) à l’homosexualité. Pourquoi, ne pas uniquement l’admettre comme un fait, d’ailleurs constatable à toutes les époques de l’Histoire de l’humanité.
      -Il faut se méfier de ce que l’on projette sur autrui. On se trompe souvent. Simplement, par ce que nous avons un vécu, un expérience; et que nous transportons en nous une grille de décodage de la réalité qui comporte de nombreux biais. Je me méfie de l’idée d’objectivité par principe;

      -Enfin, et pour clore, la pensée dominante cherche à nous faire croire que l’homme n’est mu que par la recherche de son propre intérêt; bref, par l’égoïsme. Or, c’est en partie faux, la coopération est aussi une composante forte de l’humanité .

      Bien cordialement

      Philippe L

      1. @Philippe
        ON cherche une cause pour ceux qui cherchent un remède à une conséquence qui peut ne pas les satisfaire, ce qui est personnel dans ce cas de figure.
        En ce qui concerne « l’égoïsme », la coopération existe certes mais chacun coopère pur son intérêt, CQFD que l’homme est mu par son intérêt avant tout ne fut ce dans la charité.
        la preuve?
        C’est chacun pour soi, à soi même de prouver le contraire, faute de quoi, il faudrait l’accepter car le nier serait se mentir.
        g.

    2. En lisant « la cause de l’homosexualité masculine » j’ai sursauté. Et la cause de l’hétérosexualité l’a-t-on découverte ? La repréduction de l’espèce.
      Relire à ce propos le volume deux de l’histoire de la sexualité de Foucault. Il y décrit le modèle amoureux grecs. Les grecs n ‘avaient pas de terme pour désigner un homosexuel. Ni pour les zoophiles. Pour eux un homme aimant un homme était un homme qui aimait… Un homme ? Ah bon très bien ? Une chèvre ? Ah bon pauvres bergers solitaires. Bref il n’y avait pas de « terme ». Parce que pour un grec on « aime » quelqu’un. Quelqu’un… Un homme, une femme ça dépend des rencontres. Pourquoi aimer une femme pas intéressante quand on vient de faire la connaissance d’un homme passionnant. La sexualité n’était au fond qu’une modalité d’expression de l’affection. Deux hommes amis pouvaient se tenir par la main, point barre, ou plus. Détail. La civilisation grecque ne situe pas la dignité de quelqu’un entre ses jambes.
      Les grecs n’étaient pas parfaits loin de là. Il s’agit d’un modèle amoureux parmi d’autres. Par exemple les grecs avaient des préjugés contre les « éfféminés ». Etati efféminé un homme qui s’habillait bien, se coiffait avec soin, peignait soigneusement sa barbe. Un tel homme même s’il se tapait toutes les nanas du quartiers pouvait être raillés comme efféminés y compris par deux hommes amoureux l’un de l’autre mais « viril ».
      On voit ainsi que l’homosexualité n’existe pas. L’amour existe. Et la sexualité elle, lorsqu’elle n’est pas « règlementée » hystériquement comme dans les pays soumis aux religions du Livre, la sexualité se manifeste sous de multiples formes.
      Pour un Grec la question était « Ils s’aiment », et non de savoir si c’était un homme, une femme, une chèvre, un canard vibrant.

  3. En allant voir sur la chaîne de la Procure,l’échange inattendu et d’autant plus stupéfiant entre Alexandre et un enfant merveilleux!Numineux!Merci à tous.C.

  4.  » La souffrance totalement acceptée, sans la dualité de « moi » et « ma souffrance » (moi qui souffre de souffrir, moi qui juge la souffance comme douloureuse et qui la condamne), se dissout dans la paix des profondeurs. Le fait de passer entièrement du côté de la souffrance, non pas en étant « emporté par elle » tout en se débattant mais « un avec elle », dissipe celle-ci.

    « L’égo et le mental ne peuvent pas envisager autre chose que « moi sans ma souffrance » et le geste libérateur s’exprime par « la souffrance sans moi ». »

    Arnaud Desjardins, « Bienvenue sur la Voie »

      1. C’est dans le NON à ce qui EST que naissent les tensions, les angoisses, les peurs, les haines et les colères…

        A l’intérieur, c’est doux, protecteur, accueillant comme le ventre d’une Mère.

        Prenez bien soin de vous Patricia. Caresse à votre âme.

  5. La question posée est d’autant plus intéressante qu’elle est quasi quotidienne. Comment écouter vraiment l’ami, l’inconnu, dans une écoute vraie et accueillante, sans se positionner soi-même dans le récit entendu? comment donner de sa présence gratuitement? Comment compatir sans comparer, se réjouir sans jalouser, savoir réconforter avec humilité? L’exercice est difficile. Et d’ailleurs pourquoi certains ont-ils vocation dans leurs amitiés d’etre l’ « écouteur », pour ne pas parler eux-mêmes??…
    Il me semble trouver un élément de réponse en disant que je cherche (sans le vouloir) ce qui est beau dans ce que dit ou montre celui qui est en face de moi, et que cette quête peut m’apporter une joie qui me permet de m’oublier le temps d’un échange. C’est fugace, fragile, mais c’est une piste qui ne met pas la souffrance en acteur principal.

  6. En vous lisant, je réalise combien l’idée de coopération est précieuse pour tenter de sortir d’un égoïsme forcené. Je prends aussi conscience que le boulot de l’égo, c’est de refuser sans cesse et de nous mener irrémédiablement à l’insatisfaction. D’où cette parole formidable de Jacques Castermanne : la psychologie guérit l’égo, la spiritualité guérit de l’égo. Merci à tous.

    1. Je suis heureuse de me joindre à ces échanges .Comme la parole de Jacques Castermanne est juste. Merci Alexandre de nous l’avoir transmise

    2. Je pense également que la coopération est une grande idée pour l’Humanité, sans nier pour autant l’individu. C’est la recherche d’un point d’équilibre, d’une tonalité juste entre les deux qu’il faut chercher. Difficile chemin. Bien cordialement. Philippe L

    3. Bonsoir,

      Tiens, quel curieux hasard, cela ressemble beaucoup aux dernières phrases d’Arnaud Desjardins dans « Bienvenue sur la voie ».

       » La psychothérapie guérit l’égo et c’est précieux, la voie guérit de l’égo. La psychothérapie guérit le mental, la voie guérit du mental ».

      Tous les êtres humains souffrent Alexandre, mais on a toujours l’impression que nos souffrances sont plus grandes que celles des autres.

      Et c’est souvent le cas, mes souffrances ne vous feraient probablement pas tant souffrir Alexandre. Mais est-ce que je parviendrais à traverser les vôtres? Je ne sais pas.

      Que Dieu vous protège.

  7. La compassion !
    Développer la compassion est l’une des pierres angulaires du bouddhisme, Même si je ne puis donner des conseils à une telle assemblée de philosophes, dans « les voies spirituelles du bonheur » de sa sainteté le dalai lama explique ce qu’est la compassion et à quel point elle peut être bénéfique

  8. L’égoisme naturel conduit naturellement à maximiser nos souffrances et à minimiser celles des autres. Processus d’autant plus simple à développer que la souffrance ne se définit pas, se mesure mal.
    Personnellement mon approche de la souffrance passe pas l’Histoire. C’est en feuilletant une revue de mon père, Historia, qu’à l’âge de 10 ans j’ai eu un choc en découvrant une gravure de l’époque des guerres de religion. On y voyait un personnage enroulant autour d’un baton les intestins d’un adversaire en religion gisant au sol le ventre ouvert. Ce fut pour moi un traumatisme. J’ai encore cette image en tête… Il y a pire mais ce fut l’image qui me fit percevoir à jamais que ce monde pouvait être un chemin de souffrance. Je n’ai jamais pu depuis me convaincre moi-même que mes souffrances pouvaient dépasser celles des autres, il y avait forcément pire, bien pire, infiniment pire. Si quelqu’un souffre je vais lui dire d’abord « courage » et juste après « il y a pire alors sois courageux ». Imaginons un cancéreux adulte que dirait-il après avoir traversé une section médicale d’enfants cancéreux ? Rien. Plus rien. Il souffrira autant mais ne dira rien.
    Si on aspire à être plaint par les autres, ce qui est parfaitement légitime, pourquoi pas, il faut admettre alors que d’autres sont à plaindre. C’est logique. Tout le monde n’est pas logique je le comprends bien, mais pourtant c’est ainsi, il y aura toujours une souffrance pire et cela doit nous aider à tenir et même à se maintenir en joie.

  9. « Voici ce qu’est l’amour : voler vers un ciel secret, ôter des centaines de voiles à chaque instant. Premièrement, se défaire de la vie puis finalement faire un pas sans pieds. »
    — Rumi
    Nous ne sommes pas ce que nous croyons être. Nous sommes l’étincelle qui pourrait mettre le feu aux poudre, et l’Amour jaillit…ça demande beaucoup de réflexions..
    merci Alexandre pour votre travail très courageux et inspirant.

  10. Evitons la « victimisation ».Vous qui êtes dans les prémices du bouddhisme, vous en viendrez un jour à envisager la possibilité de comprendre le handicap dont vous souffrez tant, comme résultat possible de votre karma personnel.Vous avez- à partir de ces difficultés- bien construit votre vie .Moi- de loin-je constate tout le côté positif : vous avez su découvrir une profession qui vous passionne, vous aide et aide vos élèves à se construire ; vous avez su attirer l’amour d’une femme ,créer une belle famille:je ne vois que des raisons de vous réjouir.Pour votre corps souffrant, vous avez sûrement fait tout votre possible pour le soulager…Donc dites vous que c’est votre « talon d’Achille »dorlotez le et acceptez le avec courage.: c’est ce que je vous souhaite car vous êtes sur la bonne voie.

  11. Quelqu’un qui confie sa douleur a -surtout- besoin d’être écouté et se sentir aimé.Juste être là suffit pour le laisser parler et qu’il ne se sente pas seul..Chacun a son lot de misères, aussi unique que chacun de nous l’est et chacun doit les résoudre, sans être jugé, à sa façon qui lui est propre .Alors écoutons les comme nous aimerions ,aussi, l’être avec bienveillance et sans comparer- (Chacun ne devrait se comparer qu’à soi même )

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