Pharmacopée n°15

L’idéal. Constamment, je crois entendre une voix qui me murmure derrière mon dos ce que je dois faire, pire ce que je dois être. Rien n’est assez bon pour elle. L’ici et maintenant lui plaît mais presque toujours, elle me voudrait ailleurs. Serait-ce qu’au cœur de l’être humain brille un appel à la perfection, une aspiration pour un lointain meilleur ? Ou serait-ce tout simplement le symptôme d’une âme chagrine, terrassée par un surmoi tyrannique ? La question reste entière. Et d’ailleurs, les deux ne peuvent-ils pas cohabiter au sein du même individu ?

Ecouter nos voix intimes, c’est peut-être faire le départ entre d’aliénantes attentes, nos despotiques exigences et l’élan vital qui nous pousse sans cesse à advenir, à nous transcender, en somme, et peut-être même à mourir à soi-même, à passer par la grande mort pour exister plus librement, pour quitter les attaches qui nous lient à nous-mêmes. Je devine que la perfection pourrait descendre sur terre si je me donnais tout entier dans l’action, dans l’être là, dans l’ici et maintenant. Se donner à la vie, en somme, corps et âme, sans résister. La perfection n’a sans doute rien de tape-à-l’œil, peut-être est-elle simplement l’autre nom de la sobriété.

En écrivant ces lignes, je repense bien sûr à Montaigne et à son merveilleux mot : «  Je veux qu’on agisse, et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait. » Cultiver son jardin imparfait, le plus impeccablement possible, voilà une des voies possibles !

11 Comments on “Pharmacopée n°15”

  1. Monsieur Jollien,
    Merci pour cette nouvelle pharmacopée. Elle tombe à pic sur le terreau qui a besoin d’être labourer.

  2. Ah Montaigne ! Un de nos plus grand maître de sagesse. Il figure curieusement au programme du bac de français alors qu’il devrait, évidemment, figurer au programme de l’épreuve de philo. Ceci n’est pas un hasard, cela corresponda au fait que la pratique philosophique est tenue par « l’Université » française comme indigne de la grande philosophie conceptuelle. Rousseau par contre est au programme de français comme de philo alors qu’il me paraît, personnellement, un philosophe d’un niveau très discutable.
    « Allonger les offices tant qu’on peut », autrement dit mener une vie ordinaire au sein de la société à laquelle on appartient. S’occuper de soi pour offrir aux autres un être le plus apaisé possible. Le jardin imparfait est une formule très profonde qui mérite qu’on l’approfondisse. Rien de plus trompeur que la notion de perfection. Perfection absolue ou perfection relative. De même il n’y a pas de valeurs absolue mais uniquement des valeurs relatives comme le démontre avec aisance Spinoza (voir Comte Sponville aussi en français moderne). SI on sait que tout es relatif alors on peut dire que la perfection existe. La perfection de la Nature apparaît comme un immense désordre qui ne s’équilibre que parce que la Nature est éternelle et infinie. J’aime jardiner mais je jardine plutôt mal, je jardine « moyennement ». Je suis attaché à ce jardin mais prêt à le quitter comme je suis fait à l’idée de la mort qui guette ceux que j’aime. La perfection serait au fond une aspiration intérieure, personnelle, à résoudre toutes nos contradictions, à alimenter constamment notre intérêt pour la vie, et à meubler notre vie d’espoirs situés dans un futur plus ou moins lointain, plus ou moins fantasmatique. Si c’est cela l’idéal alors il faut sans doute s’en méfier.

  3. L’idéal, la perfection, encore une fois la quête de l’inaccessible, ils sont les moteurs et les freins de notre construction intime.
    Bien sur, ces notions sont relatives car elles varient non seulement entre les individus et peut être plus encore avec les expériences vécues.
    J’aime et j’adhère à cette idée que la perfection pourrait s’incarner dans la sobriété, l’appréciation de la beauté qui nous entoure sans artifices. La perfection n’est pas de ce monde et finalement tant mieux, celà signifirait aussi sa fin, un monde sans évolution, la fin de l’Histoire!

  4. Bonjour,
    Cultiver son jardin imparfait, le plus impeccablement possible. Merci pour cette pertinente formule.
    Cette voix qui nous pousse à la perfection alors que nous sommes fondalement imparfait. Quel combat au quotidien ! Je m’aide actuellement en cultivant les bienfaits du livre « Méditer jour après jour » de Christophe André. Cultiver l’ici et le maintenant, s’accorder des pauses de repos de l’esprit …
    Merci pour votre pharmacopée et bonne continuation Alexandre…

  5. Merci, cher Alexandre, pour le cadeau de ces
    pharmacopées et aussi pour toute la joie qui
    vous habite. Vous êtes un précieux joyaupour tous ceux qui vous lisent et ont eu le bonheur de vous connaître.
    Nous « intersommes » non seulement avec vous mais avec tous nos ancêtres biologiques et
    philosophiques.
    Le joie et le bonheur à chaque pas pour vous.

    CM

  6. Christoph André remarquait que « la critique intérieure est comme un véritable ennemi intime en nous mêmes ».
    La partie humaine en nous n’est jamais rassasiée, toujours insatisfaite: de nous mêmes ,des autres des circonstances,rumine des griefs sans arrêts., a peur de tout .Mental et ego sont puissants et tyranniques.
    Notre partie lumineuse met beaucoup de temps à réaliser que la sagesse est de s’accepter « imparfaits, libres et heureux »,d’accepter le lot reçu sur terre (quand on n’y peut rien changer), et d’accepter les autres qui font partie du Grand Tout -comme nous-Cela, avec reconnaissance .
    A coup d’épreuves,on finit par ne retenir que l’essentiel, on se détache peu à peu de tout ce qui n’a aucun intérêt, on se rend compte que chacun a son rôle propre sur terre  » son jardin à cultiver »/
    Ce qui importe est de tout y faire prospérer de son mieux jusqu’au bout et de briller d’amour chacun dans son petit coin avec confiance et dans la joie .Le reste ne dépend pas de nous. .Il faut « laisser aller « …

  7. oui, au coeur de l’être humain brille un appel à la perfection, mais un petit satan me chante :
    -bisque, bisque ,rage, tu n’y arriveras pas, tu es bien trop faible, bien trop fragile, tout est vain…
    -eh, oui, je ne suis QUE ce que je suis mais c’est ds la joie que j’ai à monter sur mon petit tabouret sans me lasser et pas sur l’Everest que réside MA perfection ! et toc !

  8. J’aime à composer quelques aphorismes et parfois je me risque à un koan.

    Voici ce que ce pharmacopée m’inspire:

    « L’idéal n’a pas de pied, il n’a que de la gueule ! »

    « Même si j’étais le soleil, je créerais de l’ombre. »

    En toute ami Tydé

    1. Cher Tydé voici ce que vos inspirations m’inspirent :

      « L’idéal est de prendre son pied à en gueuler »

      (de joie naturellement)

      Sinon

      « Si j’étais au pays des ombres le soleil me manquerait »

  9. Il est vrai qu’après mon adolescence je suis arrivée à la même conclusion qu’il fallait apprendre à maîtriser son esprit pour qu’il ne nous éloigne pas de notre nature…

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